« Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à chaque fois, l’unité syndicale précède l’unité politique. »S.Binet le rappelle dans la deuxième partie de son interview pour la revue Ballast en citant février 1934 et juin 1936. C’est vrai aussi pour 1997, Jospin surfe sur le mouvement social de 1995 et gagne les élections législatives. Mais cette formule ne fonctionne que quand il y a la victoire du mouvement social. La défaite syndicale contre la réforme des retraites en 2023, n’a en rien modifié l’attitude des différents partis pour jouer collectif lors des élections européennes de 2024 par exemple. Pire elle a permis à Glucksmann, d’apparaître, momentanément, comme la solution à gauche. Le PS en prétextant l’impossibilité de travailler avec la FI, s’est retiré du programme de la NUPES. Gluksmann est le candidat d’une gauche qui ne veut pas de rupture avec le capitalisme, il a rappelé récemment qu’il était contre la retraite à 60 ans et il s’accommode totalement du greenwashing de Carole Delga, l’autoroute A69, la LGV, l’avion ! La situation aurait été toute autre si la grève avait triomphé, elle aurait été un point d’appui pour donner de la force à l’idée d’une alternative politique.
Le soutien massif de la population à la mobilisation sociale était le moment opportun pour organiser la convergence entre l’intersyndicale et la NUPES. Malheureusement les syndicats comme les composantes de la NUPES, composantes qui voulaient sa mort, n’ont que faire de ce moment où les possibilités politiques sont plus larges, plus profondes.
Après l’échec du blocage du pays le 7 mars, l’intersyndicale a demandé à la NUPES de faire en sorte que la loi puisse être votée à l’assemblée nationale ! Défaite dans la rue et défaite au parlement. Rien de tel pour tuer un mouvement social. Obliger le gouvernement à avoir recours au 49-3, puis affronter la motion de censure, c’était permettre au mouvement social de continuer la lutte pour trouver d’autres moyens d’action pour renverser la réforme des retraites. Le mouvement sociala alors fait preuve d’une grande imagination, mais cela n’a pas suffi !
La bataille nécessaire pour construire l’unité est un cheminement complexe ; nous venons de traverser un épisode contradictoire (fracture de la NUPES, unité syndicale stérile) qui en aucune façon ne fait apparaître l’unité comme le moyen suffisant et pour gagner et pour créer les conditions d’un changement politique.
Le programme de la NUPES pouvait être le moyen pour dépasser les divergences, ce qui se passe en son sein montre la facilité avec laquelle chacun peut s’en affranchir.
L’accord intersyndical pour rejeter la réforme des retraites, comme on l’a vu, était adossé à une tactique de lutte de basse intensité…tout cela pour respecter le cadre unitaire. A travers ces deux épisodes pourrait se poser la question de la délimitation de ce cadre unitaire.
Le lien qu’établit S. Binet entre l’unité syndicale et l’unité politique, n’a pas fonctionné, mais ce n’est pas le principe d’unir les forces qui pose problème, mais l’utilisation du rapport de force ainsi créé qui fait débat.
Nous savons que l’unité avec diverses organisations est compliquée, car elle renvoie à des divergences profondes qui ramènent au refus d’imaginer l’émancipation à travers la bataille des revendications. Rappelons-nous qu’en 1997 Jospin gagne les élections législatives en laissant croire qu’il a compris le message profond des grèves de 1995 contre le libéralisme. Sitôt arrivé aux affaires il va privatiser avec le PC et les Verts, France Télécom, Air France…Cette trahison sera cher payée, Jospin car à la présidentielle de 2002 est éliminé dès le premier tour et c’est Le Pen qui prend sa place. Les défaites sociales et les trahisons des partis censés défendre les salariés conduisent invariablement au même constat : la lassitude et l’écœurement, parfois le besoin d’aller voir ailleurs notamment en votant à l’extrême droite. Après le choc de 2002, bien nombre d’électeurs du FN parlaient de vote sanction. Aujourd’hui, il s’agit bien d’un vote pour se débarrasser de ceux et celles qui n’ont pas compris le message.
Beaucoup de salariés ne font plus grève voir ne votent plus, cette force passive permet toutessortes de manœuvres dans les cadres unitaires et la défaite contre la réforme des retraites a accentué cette passivité. S. Binet dans l’interview note l’absence de la jeunesse dans la bataille des retraites et l’absence vient de loin. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater le décalage qui existe dans les mobilisations pour un « Cessez le feu à Gaza » entre la France, les USA, l’Espagne… La mobilisation en cours, même petite est un point d’ancrage essentiel, car celles et ceux qui ont osé affronter l’arc réactionnaire et la plupart des médias, ont su trouver dans cet environnement hostile les contradictions qui ouvrent des brèches qui font apparaitre des potentiels progressistes. La mobilisation de la jeunesse rejoint la bataille de l’Afrique Sud pour faire reconnaître le génocide, la bataille des pays comme l’Espagne, l’Irlande pour la reconnaissance d’un état palestinien, et enfin le droit de critiquer l’état israélien sans être traité d’antisémite !
Après la défaite des retraites, il y aura sur des questions importantes comme la Palestine, les batailles pour garder une planète habitable… l’obligation de surmonter l’obstacle de la passivité de celles et ceux qui n’y croient plus et qui ont renoncé à prendre leurs affaires en main.
Mobiliser n’est pas toujours simple il faut expliquer, beaucoup parfois, mais quand en plus il faut convaincre ceux et celles qui savent qu’il faudrait se mobiliser, mais chez qui la succession de défaites a anéanti toute velléité de lutte c’est autrement plus compliqué. L’intersyndicale n’a pas su comment associer la population majoritairement opposée à la réforme des retraites à la mobilisation des lieux de travail
La population, ce sont les salariés, les chômeurs, la jeunesse, les retraités… le peuple en quelque sorte. L’appel à bloquer le pays le 7 mars n’a pas suffi, parce que la position de la population était politique, elle ne contenait pas dans l’espace strictement revendicatif de l’intersyndicale. S Binet balaye un peu facilement d’une part les méthodes de luttes de défenseurs de l’environnement, « Nous ne cherchons pas à masquer la nécessité de l’action de masse par des coups de com’ ou des buzz sans efficacité réelle. » qui jouent sur les symboles et d’autre part le recours à des formes d’actions en s’appropriant l’outil de travail. Les gaziers et électriciens l’avaient fait de façon remarquable..Sans nul doute ces actions se poursuivront de l’extérieur et ceux de l’intérieur ne pourront donc pas s’en revendiquer. Se priver de ces modes d’actions et de résistance alors qu’on n’a pas pu bloquer le pays en 2023, ne paraît pas très raisonnable.