Les produits financiers dérivés
Séminaire du 13 novembre 2015
Article mis en ligne le 26 février 2016

par Universite Populaire Toulouse

Cet atelier du 3 novembre 2015 sur les marchés financiers dérivés visait à approfondir quelques sujets abordés par F. Morin lors de sa conférence du 15 septembre 2015 au Bijou sur "l’Hydre mondiale. L’oligopole bancaire" : on verra, en comparant les réponses abordées par F. Morin aux quelques questions listées ci-dessous, que le sujet est loin d’être épuisé, d’autant que la crise ne va pas nous laisser de répit (les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de l’Hydre mondial).

1. Pour s’assurer contre les variations (les instabilités) des taux de change et des taux d’intérêt, des contrats d’assurance, dits "produits dérivés" de ces taux ont été créés. Ces contrats assurent la valeur de ces produits dérivés pour une valeur dite "notionnelle" :
Cette valeur notionnelle (fixée au temps t0) est-elle immuable jusqu’à son terme (pendant toute la durée d’existence de leur taux sous-jacent) ou fluctue-t-elle dans le temps (c.à.d. peut-on spéculer) tout comme le taux de change ou d’intérêt sur lequel elle a été bâtie ?
La valeur à terme de cette valeur notionnelle est-elle fixée à partir de sa valeur au comptant (au temps t0) ou bien est-elle fixée à partir des anticipations de la valeur qu’elle pourrait avoir à son terme ?

2. Les valeurs notionnelles n’apparaissent pas dans le bilan, mais figurent dans le "hors bilan", des 28 banques systémiques, dont 14 gèrent près de 90% du total de ces encours notionnels : le Crédit Suisse et la Deutsche Bank sont, avec l’USB et la Royal Bank of Scotland les 4 banques qui ont le rapport le plus élevé (de 55 à 30 fois) entre leur hors-bilan et leur bilan (cf. tableaux comparés 1 et 3 de "L’Hydre mondiale", p. 32 et 37).
Si "l’encours des valeurs notionnelles apparaît comme une mesure significative de capitaux qu’il convient de protéger pour combattre l’instabilité monétaire et financière internationale (p. 39), n’est-ce pas la signature que ces banques sont aussi (et peut-être surtout ?) des lieux de transit de fonds spéculatifs plus importants que chez leurs concurrentes ?

3. Concernant les dettes souveraines (ou publiques), leur envolée après 2008-2009 provient des 5400 milliards de $ avancés par les Etats européens pour "sauver" (parfois nationaliser) des banques privées. Est-il vrai que ces Etats auraient plus reçu (avec les intérêts perçus) qu’ils n’avaient prêté ? Si oui, comment expliquer alors l’envolée de ces dettes ?

4. Tu poses la question (p. 109) : faut-il voir dans l’oligopole bancaire mondial une structure de marché où de tels abus (allant des comportements individuels de traders aux pratiques d’entente générées par mimétisme) sont non seulement toujours possibles, mais pratiquement inévitables ? Et tu redoutes que ne se produise le scénario le plus probable, à savoir un effondrement de l’économie réelle (p. 135) résultant des enchainements délétères que provoquerait le déclenchement des produits dérivés de type CDS (p.134).
Tu constates que le montant des encours notionnels des produits financiers dérivés est passé de 500 milliards de $ en 1986, à plus de 710 000 milliards de $ en 2013. Et tu précises (p. 136 - 137) que les acteurs de l’économie réelle ont besoin de produits d’assurance (et donc de dérivés) pour couvrir les risques liés aux variations incessantes des produits sous-jacents : taux de change et taux d’intérêt, principalement. Comme le montre le tableau 19, la majorité des encours notionnels gérés par les banques systémiques s’attachent à couvrir (à plus de 90% pour l’année 2013) les risques liés à ces deux derniers taux.
Plus précisément, ton tableau 19 (p. 138) montre qu’en 2013, les produits dérivés des taux de change (qui servent à convertir une monnaie en une autre et qui n’interviennent donc pas dans la création monétaire) ne représente que 10% (70 600 milliards de $) du montant total des encours notionnels. Par contre 82.3% (584 400 milliards de $) de ces encours, qui participent de la création monétaire, résident dans les produits dérivés de taux d’intérêt (qui sont les prix qu’il faut payer pour emprunter afin de disposer d’une monnaie durant une période donnée (p. 137)). Or, ce sont justement via ces emprunts que se réalise la création monétaire puisque, de virtuelle, la monnaie ne devient réelle que lorsque l’emprunt est remboursé.
Pour remédier à ces désordres systémiques, tu proposes une réforme du système monétaire international par la création d’une monnaie commune, déjà préconisée en 1944 par Keynes (p.139). Alors comment créer une monnaie commune internationale alors qu’actuellement (p. 137), la création monétaire est le fait, grosso modo, de 90% des banques privées et de 10% des banques centrales … désormais indépendantes des Etats (sauf pour la FED US, le RU, la Chine et le Japon ?).
"Indépendantes" signifie que si les banques centrales sont bien devenues indépendantes du pouvoir politique (que des peuples souverains devraient exercer …), elles sont bien dépendantes du pouvoir financier vu le poids exercé par le lobbying de l’oligopole (et spécialement son noyau dur, p. 132) sans oublier sa tète pensante, l’IIF (Institute of International Finance, p. 60) !
Tu affirmes que l’opposition à cette réforme monétaire provient des USA depuis la libéralisation du marché des changes intervenue en 1971. D’où trois ou quatre questions :
Faudra t il attendre une nouvelle crise qui affaiblirait suffisamment le cours du $ (sachant que la FED peut imprimer des $ comme bon lui semble) pour créer cette monnaie commune ?
Que penses-tu de l’émergence de monnaies régionales (le Sucre en Amérique Latine) et des banques et fonds régionaux créés par les BRICs pour concurrencer le FMI ?
Penses tu réellement que pour en finir avec les crises financières et économiques du Capital, il suffirait de réintroduire des taux de change fixes entre les monnaies nationales ou régionales …, les parités monétaires étant ajustables par rapport à la monnaie commune, non par le marché, mais par la volonté politique (p. 143) (sous l’égide d’une ONU refondée ?), même si le tout est assorti d’un contrôle des changes et d’une taxation des transactions financières et d’une stricte séparation patrimoniale entre les activités de dépôt et les affaires des banques ? Car :

5. Si l’essentiel de la création monétaire continue d’être le monopole des banques privées via les taux d’intérêt, et non via les taux de changes entre monnaies, le cœur du Capital restera intouché (sans parler de l’appropriation privée de la plus-value produite, donc de la valeur initiale des marchandises qui, pour pouvoir être échangées sur un marché, doivent d’abord être produites …). Ne faudrait-il donc pas que les peuples des pays concernés décident d’instituer la socialisation (la nationalisation démocratique) de leurs principales banques privées ? En somme ne faudrait-il pas une "réforme" systémique pour remédier à un mal systémique ?

Luc Brossard d’Espaces-Marx Toulouse MP