Entretien avec Pierre Montebello
la fin du monde humain
Article mis en ligne le 16 février 2016

par Marsanay

Nous invitons Pierre Montebello le 24 février au Bijou pour son dernier ouvrage " Métaphysiques cosmomorphes, La fin du monde humain "nous lui avons posé quelques questions.

1 - La fin du monde humain, c’est ainsi que nous avons intitulé notre conférence, en reprenant le sous titre de ton livre.
Or dans la dernière période l’humain est revenu au centre des débats, plutôt des préoccupations à travers un projet politique," L’ Humain d’abord"et c’est également le titre d’un livre de G. Azam Osons rester humain...
Pourquoi parles-tu de la fin du monde humain quand d’autres le remettent au centre des hypothèses pour résoudre les problèmes qui sont les nôtres ?

Le sous titre de mon livre la fin du monde humain dit clairement ce qui est en jeu : ce qui est en jeu c’est le dépassement de l’humanisme. On invoque tout le temps la responsabilité humaine, l’éthique humaine , la morale humaine, comme si le remède à la crise de notre monde était d’être plus humain, comme s’il fallait revendiquer toujours plus d’humanisme ou alors un post humanisme, c’est à dire un humain qui se prolonge dans une sphère techno scientifique pour augmenter sa puissance de domination de la Terre
De là la croyance que la seule solution à nos problèmes est globale et technologique ou alors que nous devons revenir à l’universalité morale de l’homme pour résoudre tous les problèmes.
Mais la question n’est plus celle de l’humanisme ou du posthumansme, on voit bien que beaucoup de disciplines posent une nouvelle question qui concerne non pas l’Homme mais le "monde". L’anthropologie, la sociologie et même l’esthétique ne posent plus que cette question : qu’est-ce qui fait monde ? . Ce n’est pas l’homme seulement qui fait monde, ce n’est pas l’homme seul qui constitue un monde. L’anthropologie nous montre comment tous le peuples composent leurs mondes en reliant une multitude d’êtres entre eux, Descola a parlé en ce sens d’une "composition de mondes" et en a fait le titre d’un livre d’entretien avec Pierre Charbonnier . Le sentiment que nous avons que notre monde se désagrège correspond exactement au fait de sentir que nous sommes en train de perdre les relations qui rendent notre vie possible, à savoir l’ensemble des relations écologiques, vitales, environnementales sans lesquelles la vie humaine n’a plus de sens.
Nous sommes entrés dans dans une nouvelle période géo-cosmique où l’humain doit se redéfinir en tenant compte d’une multitude de relations extérieures à lui., Il doit changer de point de vue : partir du monde et non de lui, des relations qui le font être et non pas de son être à lui. Mais c’est très difficile, l’anthropocentrisme est souvent condamné , et poirtant il reste toujours aussi vivace dans nos manières de penser. Il ne s’agit pas de prôner une nouvelle "mort de l’homme" (Foucault) mais de se dire que la fin du monde anthropocentrique est la condition d’une prise en compte de ce qui fait monde pour nous.
C’est en ce sens que l’idée d’insister sur l’humain me semble aller à contresens de ce mouvement de pensée aujourd’hui. Le problème n’est plus l’humain, mais de savoir penser l’inter-relation entre les êtres, sans laquelle l’humain lui-même finira par ne plus exister.

2 - Beaucoup ont écrit sur l’anthropocène,par ex tu évoques dans ton livre l’ouvrage de Bonneuil /Fressoz, "L’événement anthropocène"quelle est ta perspective à ce sujet ?

Je partage l’analyse de Bonneuil et Fressoz sur les ambiguïtés du mot anthropocène. Dans "anthropocène", on entend anthropos, ou encore que l’homme est pris comme une force géologique de transformation de la terre.
Mais qui est cet anthropos ?Les peuples arctiques ? Amérindiens ?L’occident industriel ?
On voit bien que ce terme est trop global pour désigner la diversité des peuples dans leur rapport à la terre et leurs formes multiples d’attachement à leur milieu de vie.Ce terme a le désavantage par ailleurs de passer sous silence les formidables forces de destruction de la terre comme la mondialisation , la globalisation, le capitalisme...
Sur ce point Bonneuil et Fressoz ont raison,ce terme ne désigne pas un destin inéluctable de l’humanité mais des choix politiques assumés dans l’appropriation des ressources de la terre,de fait on pourrait aussi bien appeler cela thanatocène (thanatos comme instinct de mort chez Freud) ou capitalocène.........
Le problème n’est pas le rapport de l’homme en général à la Terre ,ni même une possible destruction de la Terre car ce qui sera détruit sera le milieu vivable pour l’homme et non pas la terre.
Comme le disait Nietszche "L’homme n’est tout au plus qu’une démangeaison passagère ,une maladie de peau de la terre".
Il suffira qu’elle se gratte pour faire disparaître cette démangeaison......
Le vrai problème, c’est le système homme/terre, c’est de préserver la consistance d’un système vivable, autrement dit c’est de prendre conscience de l’extrême fragilité et vulnérabilité de ce système.

3 - Peux-tu expliciter le terme "consistance" ?

Redonner de la consistance au système Homme/Terre passe par une modification de nos manières de penser qui trop souvent livrent les êtres, autres que l’Homme, à une pure existence inconsistante. C’est l’objectif de ce livre de montrer combien nous sommes encore tributaires de schémas anthropocentriques et de fait nous sommes incapables de prendre en compte la diversité des êtres avec lesquels nous sommes en relation sans lesquels aucune existence humaine ne serait possible.
Le combat n’est pas simplement à mener sur des terrains pratiques , il est aussi à mener sur ces manières de penser qui structurent notre vision des choses.
C ’est pourquoi la philosophie doit, elle aussi, mener son propre combat contre les récits anthropo-théomorphiques dont elle a été si souvent tributaire depuis le début de l’âge moderne. Peut-on continuer à penser que l’homme s’institue hors nature, voire contre la nature ,ou encore croire que l’Homme est une "exception" dans la nature (cf le livre de Jean Marie Schaeffer,"La fin de l’exception humaine").
Faire consister, cela veut dire trouver les moyens de redonner du prix et de la gravité aux relations qui nous font être, relation avec la biodiversité , terre végétale, diversité culturelle...
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4 - Est-il juste de penser que dans les autres disciplines de sciences humaines, sociologie, anthropologie .......ce combat semble déjà engagé ou tout du moins semble plus facile à mener ?

En effet, on assiste à un tournant dans plusieurs disciplines, qui me semble plus difficile à opérer en philosophie : l’anthropologie nous permet de prendre en compte des manières très différentes d’articuler l’homme aux autres êtres de la Terre, l’esthétique manifeste une expressivité des êtres qui ne se réduit pas à l’humain, la sociologie nous apprend à prendre en charge les autres êtres que l’homme dans une politique étendue aux non-humains : cosmomorphisme , anthropologique, cosmopolitique sociologique, cosmoformes esthétiques. J’ai voulu consacrer un chapitre de mon livre à chacune de ces manières de voir qui bouleversent nos manières de tisser les relations entre les êtres avec lesquels notre existence est associée.
Nous pourrons y revenir au cours du débat.