Interview de Gérard Le Puill
" L’écologie peut encore sauver l’économie "
Article mis en ligne le 30 septembre 2015

par Universite Populaire Toulouse

1 - Les scientifiques ont identifié depuis longtemps le dérèglement climatique et les conséquences qui vont avec. Des états les lobbies industriels et financiers contestent toujours cette analyse, comme on pouvait le redouter, par contre il semble que les « scientifiques » mettant en cause cette analyse ont perdu du terrain et sont bien discrets dans les médias. Ce recul des « climatos sceptiques » s’accompagne d’une prise de conscience dans l’opinion publique de l’importance de l’action pour modifier vite le cours des choses. La bataille idéologique est gagnée ?

De moins en moins de gens mettent en doute la réalité du réchauffement climatique et le lien entre ce processus qui s’accélère et les émissions de gaz à effet de serre . Le climatologue Hervé Le Treut rappelait lundi 28 septembre dans le cadre d’un débat à Paris que l’on est passé d’un largage de 3 à 4 milliards de tonnes de C02 par an dans l’atmosphère au début des années 1970 à plus de 10 milliards de tonnes par an dans cette seconde décennie du XXIème siècle. Et de poser la question suivante : peut-on réduire ces émissions en maintenant 1,5 milliard de voitures individuelles en circulation dans le monde ? On ne se pose pas assez ce genre de question aujourd’hui . L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est un processus qui s’amplifie encore. La réduction de ces émissions passe par un processus inverse. Beaucoup de décideurs politiques et économiques ne veulent pas voir cette réalité en face. C’est ce qui m’a conduit à consacrer les 8 chapitres de la seconde partie de mon livre à ce qu’il est possible de faire dans notre vie de tous les jours comme dans la conduite de l’économie pour réduire ces émissions.

2 - Alternatiba, qui a vu passé près de 35000 personnes à Toulouse, confirme cette prise de conscience, particulièrement dans la jeunesse, de l’urgence de l’action. Mais en même temps elle semble s’accompagner d’une préférence pour les solutions immédiates, les choix individuels opposés aux luttes collectives, jugées inefficaces, bureaucratiques. Qu’en penses-tu ?

Les choix individuels compteront beaucoup et ces choix peuvent aussi peser sur les décideurs économiques . Cultiver son jardin quand on dispose d’un bout de terrain c’est participer à la réduction des transports de marchandises qui s’effectuent souvent sur de longues distances. Récupérer l’eau de son toit dans une citerne permet d’arroser le jardin gratuitement. Donner sa préférence aux produits locaux quand on fait ses courses c’est envoyer un signe clair aux distributeurs prompts à importer « des produits de nulle » comme l’on récemment dénoncé des militants paysans. Manger moins de viande et plus de légumes secs contenant des protéines végétales fera aussi partie de la solution. Il faut aussi éviter d’acheter des aliments dont la production et le conditionnement sont très énergivores. Je pense aux fraises et aux tomates en hiver mais aussi aux emballages inutiles où le prix de revient la barquette en plastique est parfois plus élevé que la valeur de son contenu. Mais je n’oppose nullement ces indispensables changements de comportements aux luttes collectives qui devraient aussi porter sur des politiques d’aménagement du territoire qui réduisent la distance entre le travail et l’habitat et sur la nécessité de construire des bâtiments à faible consommation d’énergie, sur la promotion de l’économie circulaire.

3 - La volonté de vivre immédiatement ce que l’on préconise idéologiquement, est une attitude que l’on re trouve dans toutes les périodes et c’est une bonne chose. Mais il nous semble qu’aujourd’hui, les défaites sociales peut être aidant, que cette impatience s’accompagne d’une relégation au second plan de la lutte contre le système. L’idée qu’une accumulation d’expériences, de solutions alternatives suffiraient à résoudre les problèmes que les manifestations, grèves…n’ont pas résolu. Qu’en penses-tu ?

Il y a un effet « rouleau compresseur » de la mondialisation libérale qui rend difficile toute lutte qui s’oppose à la « logique » du système en place . Nous le voyons en Grèce en dépit du combat courageux de Syriza faisant appel au peuple . En France presque tous les secteurs agricoles sont en difficulté un an après le vote de la Loi d’avenir voulue par Stéphane Le Foll pour promouvoir l’agro-écologie en agriculture afin de la rendre moins dépendante des intrants chimiques qui coûtent de plus en plus cher. Alors que la chute des cours résulte pour une bonne part de la non régulation de l’offre avec la sortie des quotas laitiers et des importations abusives permises par les accords de libre échange que l’Europe a négocié avec des pays , on s’aperçoit que les ébauches de réponses à la baisse du prix du lite de lait et du kilo de viande de porc ou de bœuf sont recherchée en France ,un an après le vote de cette loi , à travers une fuite en avant dans la concentration de la production. Cette fuite en avant est doublement énergivore dans la mesure où elle appelle de lourds investissements dans les bâtiments et se traduit aussi par plus d’importation de nourriture du bétail à commencer par le soja. Il ne suffit donc pas de lutter si les luttes n’intègrent pas davantage la nécessité de freiner le réchauffement climatique.

4 - Ton livre est découpé en deux partie bien distinctes, la deuxième explore dans les détails ce que l’on peut faire immédiatement. Les régions, les villes, les départements, dont bon nombre ont été dans les mains de la gauche des années durant n’ont pas été ces laboratoires indispensables pour prendre des initiatives, mettre en place tout de suite des alternatives. Comment expliques tu ce retard de la gauche, particulièrement de celle qui se situe à la gauche du PS ?

Qu’elles soient gérées par des équipes de droite ou de gauche , toutes les villes ont développé ces trente dernières années des zones de chalandise à leur périphérie pour commercialiser des produits d’importation tandis que la mondialisation libérale faisait fermer les usines au profit des délocalisations dans les pays à bas coûts de main d’œuvre . Les maires ont appliqué cette politique dans l’espoir de récupérer des ressources via la contribution économique territoriale des entreprises en plus des impôt fonciers et la taxe d’habitation payés par les ménages. On a beaucoup paré au plus pressé sans développer de réflexion prospective sur des alternatives . Globalement les formations situées à la gauche du PS n’ont pas fait ce qu’il fallait dans ce domaine. Jean-Luc Mélenchon avait parlé de « règle verte » et de « planification écologique ». Mais tous les responsables du Front de gauche Mélenchon compris ont omis de développer ces concepts ensuite . Moi je m’en suis inspiré pour montrer comment il est possible d’inscrire l’agriculture dans un processus vertueux et productif à la fois (1) Aujourd’hui avec la constitution de grandes régions dont les buts affichés seront de faire de la capitale régionale un super pôle de compétitivité qui concentrera les emplois en refoulant toujours plus loin l’habitat du plus grand nombre je crains de voir fleurir plus de mauvaises décisions que de bonnes pour le climat.

5 - La voiture est le principal pourvoyeur de GES dans l’atmosphère. La voiture est aussi jour après jour dans la plus part des villes et les rocades qui les contournent source d’encombrement sans fin. Circuler à Toulouse et dans sa périphérie devient aussi difficile que dans la région parisienne. Nous sommes devant un problème compliqué comment peut-on réduire les émissions de GES émis par les voitures et le maintien de l’emploi dans le secteur partiellement sinistré. Fabriquer moins de voitures ? Améliorer la qualité de celles-ci ? Y a-t-il des niches d’emplois dans le recyclage des voitures ? Est-ce que les syndicats ont pris du retard sur la question de la transition écologique ?

Il est urgent de réduire la place de la voiture dans ce pays . Dans l’immédiat , la solution la plus efficace serait le développement du covoiturage pours e rendre au travail . Si une taxe carbone se met en place , il faudrait qu’une partie de cette taxe serve à encourager le covoiturage entre le lieu de résidence des salariés et leur lieu de travail quotidien. Le covoiturage suppose quelques astreinte et ces astreintes ne seront acceptée que si les gens sont gagnant financièrement en montant à trois ou quatre dans la même voiture. Dans un premier temps c’est le moyen le plus sur de réduire les bouchons autour des grande villes ainsi que la pollution. Oui il est souhaitable que l’on vende moins de voitures neuves dans tous les pays développés et émergents et que l’on recycle mieux tous les composants des vielles bagnoles. Mettre les voitures diesel à la casse de manière accélérée pour en produire beaucoup d’autres carburant à l’essence , au gaz ou à l’électricité ne fait que déplacer le problème sans le résoudre sur le fond.

6 - Dans l’introduction Le Hyaric cite Engels « La dialectique de la nature : Nous ne devons pas nous vanter trop de nos victoires humaines sur la nature … »L’industrie nucléaire a toujours été décrite comme l’exemple le plus important du génie humain et de ses capacités à résoudre les problèmes les plus complexes. A la page 23 tu précises ton point de vue sur cette question : « le nucléaire existant doit être vue comme le socle qui facilitera une transition énergétique progressive… ». Il y a eu Fukushima, ne faut il pas reconsidérer le point de vue ?

Après Tchernobyl , Fukushima a montré qu’un accident nucléaire est toujours possible. Et cela peut aussi se produire en France . C’est l’Autorité de sûreté nucléaire qui le dit alors que sa mission est de tout faire pour que cela n’arrive pas. Mais à Tchernobyl comme à Fukushima le non respect des procédures de sécurité a transformé ces incidents graves en catastrophes. Nous avons en France une situation qui est unique au monde . Plus de 70% de notre production électrique est d’origine nucléaire. Je ne dis pas que c’est une situation idéale , je dis dans le chapitre 12 de mon livre qu’il faut la gérer en gardant comme objectif central la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Gérer le nucléaire sur la durée en étant strict sur les conditions de sécurité permet de faire monter en puissance les énergies renouvelables tout ensachant que ça prendra du temps. La demande en électricité ne va pas diminuer dans notre société de plus en connectée. La sortie du nucléaire en Allemagne relance les centrales au charbon et au lignite tout en doublant le prix de l’électricité en10 ans afin de financer les éoliennes et les panneaux solaires , voire la méthanisation qui conduit aussi à mettre 500.000 hectares de maïs dans les fosses à purin . Il convient d’avoir tous ses éléments en tête avant de se précipiter pour sortir du nucléaire. Et si l’EPR permet de consommer beaucoup moins d’uranium dans des centrales plus sûres que celles d’aujourd’hui cela doit aussi faire partie de la solution de mon point de vue de citoyen non spécialiste des question énergétiques.