Interview d’un militant de base de la Gauche Prolétarienne
Article mis en ligne le 4 juin 2015

par Universite Populaire Toulouse

Autour de l’ouvrage collectif " Les Nouveaux Partisans ".

Pas évident de répondre à vos questions, d’abord parce qu’il n’y a pas vraiment de « nous » constitué, au sens d’un groupe ayant une ligne politique arrêtée. Ensuite parce ce livre n’apporte pas « les réponses », il n’a que la prétention plus modeste de donner des matériaux factuels et textuels et des témoignages pour permettre à tous ceux qui n’ont pas capitulé de sortir de l’oubli l’histoire de la GP et de travailler à en tirer des leçons depuis maintenant et pour maintenant.
Pas de « nous » : les « militants de base »qui ont contribué de près ou de loin à ce livre ont certes deux points communs, que signifie justement par son équivoque cette appellation (« des militants de base ») :
1- Ils étaient des militants de la GP et n’ont pas admis ni digéré la dissolution par la bande dirigeante, ni surtout les images qu’ils en ont donné après coup depuis leur recyclage sur la scène bourgeoise et avec la bénédiction des medias ;
2- Ils ont non seulement pas renoncé à penser que le capitalisme sous toutes ses formes et encore plus dans ses tendances actuelles devait être aboli, mais ils continuent à militer à la base comme ils peuvent sur divers fronts de lutte. Ceci dit, leur dispersion historique fait qu’ils se retrouvent dans leur diversité, à la fois celle de leur parcours depuis la dissolution (qu’ils n’ont pas « négocié » forcément de la même manière) et celle de leurs engagements actuels. Ce livre est peut-être justement une première occasion de se rapprocher, mais c’est un processus en cours pas une donnée initiale.
Pas de réponse toute faite : c’est évidemment la conséquence du premier point. L’intérêt de ce bouquin, s’il en a un, c’est de poser des questions que l’on ne se pose plus à notre époque hyper consensuelle, même dans la dite « extrême-gauche ». Celle de la violence politique par exemple, de sa nécessité, de ses formes, de ses stratégies. Ou celle du « despotisme » capitaliste, tant dans les lieux de production que dans l’espace social en général, le capitalisme se réduisant moins que jamais à la seule marchandisation et aux inégalités de revenu (ce qui bien sûr est vrai aussi). Ou l’importance de la question « immigrés » que la GP avait bien aperçu, même et surtout si elle se pose dans des termes en grande partie différents de nos jours. Ou encore la question de « l’organisation », entre « parti » et « autonomie ». Etc… « Nous » n’avons pas les réponses toutes faites, mais « nous » pensons que le retour sur l’histoire de la GP (ou celle des BR en Italie ou autres mouvements radicaux) permet à la fois de reposer ces questions qui ont disparu ou sont rendues méconnaissables par la fétichisation générale de la « démocratie », et de repérer des éléments de réponse au moins embryonnaires et certes limités dans la pratique de la GP qui faisait rupture et invention dans le paysage groupusculaire… Il est évident pour « nous » qu’en proposant cette « histoire de la gauche prolétarienne » nous ne voulons pas simplement faire œuvre d’historiens au sens académique d’en retracer le passé comme d’une chose révolue que la distance qui nous en sépare permettrait d’ « objectiver » sans y être impliqués. Ce n’est pas la « nostalgie » qui « nous » anime mais le souci de transmettre l’élan révolutionnaire éprouvé alors aux luttes actuelles, partielles et s’épuisant souvent dans leur coin faute de perspectives autant que de mémoire. Au travers des faits rétablis et des textes dé-ensevelis, « nous » voudrions contribuer à réactualiser le désir de révolution et rappeler que le combat continue.

UPT : Dans votre introduction à cet ouvrage collectif, vous avancez l’hypothèse que l’occultation de l’histoire de la gauche prolétarienne est à la fois le produit de la peur de la bourgeoisie et une entreprise consistant à faire disparaître des pans de l’histoire "l’axiome de la disparition" "une répression totalitaire". Vous citez pour étayer votre démonstration les lendemains de la guerre d’Algérie. Cet argument n’est pas faux, mais il n’explique que partiellement l’absence d’étude sur cette période sous l’angle de l’activité de la GP. Les études historiques sur mai 68 et l’après mai sont foison. On ne peut donc s’empêcher de penser que l’histoire de la GP n’a pas marqué cette période de façon durable. Qu’en pensez-vous ?

On a du mal à en comprendre le sens, en particulier l’articulation entre le début et la fin de l’argumentation de la question. Vous admettez la comparaison faite dans l’intro du bouquin entre « l’oubli » organisé pendant de longues années sur la guerre d’Algérie et celui sur la guerre de classe menée par la GP (il s’agit de deux « guerres » ayant mis à mal le consensus social de l’impérialisme/capitalisme français, et la censure mémorielle est un classique de l’ordre établi, même si la première guerre a fait beaucoup plus de morts que la deuxième et n’est pas quantitativement comparable. On peut faire le rapprochement aussi avec le traitement dit des « années de plomb » du mouvement italien des années 70 jusqu’aux BR et qui continue là-bas à « plomber » la vie politique). Mais vous avancez que cette explication est « partielle » parce qu’il y a eu (en particulier sans doute lors des « anniversaires ») des tonnes « d’histoire de 68 et après », et que donc (sous-entendu), c’est que la GP n’avait pas l’importance que nous lui accordons. C’est un raisonnement curieux : il suppose que ces « études historiques » sont neutres et fiables politiquement, et que si elles n’en parlent pas ou peu, comme elles seraient incontestablement « objectives », c’est que la GP n’avait pas grande importance. Or, c’est justement ce que nous remettons en question, que les « études » soient neutres : c’est justement en évitant ce qui est le plus subversif et en le recouvrant d’un monceau d’études plus consensuelles que s’exerce la censure. Non pas qu’il faille exagérer l’ampleur de l’action révolutionnaire de la, GP, qui est certes relative en termes « quantitatifs » (ni si meurtrier que la guerre d’Algérie ni poussé aussi loin qu’en Italie, justement à cause de la dissolution – quoique tout ne se soit pas arrêté en 74, date à laquelle s’arrête le livre, avec l’autonomie et les groupes d’action directe….), mais qui à notre avis, incarne qualitativement une radicalité qui a un sens politique aigu, ce dont la bourgeoisie justement entend bien effacer la trace, ça fait partie du succès actuel de son hégémonie idéologique.

UPT : L’idée d’inclure des repères chronologiques tout au long des chapitres est une excellente idée, mais elle est aussi un piège redoutable. La lecture des évènements chronologiques action après action, manif après manif...donnent l’impression, fausse selon nous, si on l’on procède à des lectures croisées d’autre chronologie de la même période, que la situation n’était pas aussi explosive que le laisse penser cette énumération d’actions. Quarante ans après n’était il pas utile de re visiter cette période en en fixant les limites et les contradictions de cette époque ?

La deuxième question n’est pas très claire non plus, elle est au moins triple. S’il s’agit de relativiser l’ampleur et l’incidence de la GP par rapport à l’ensemble des « événements » qui se sont passés entre 68b et 74 en France, bien sûr qu’il y a eu des élections, des faits divers et des événements météorologiques, et que les quelques milliers de militants ne résumaient pas l’existence de 60 millions de français ! Mais c’est là un point de vue de journaliste ou d’historiographe, pas un point de vue politique, et la réponse à apporter est la même que celle donnée précédemment : que c’est le sens qualitatif de la « percée » politique qui importe ici (et qu’on peut certes discuter politiquement aujourd’hui, mais à ce niveau). S’il s’agit, comme vous le dites à la fin de reprocher de n’avoir pas replacé cette histoire de la GP dans une histoire générale de la France, il n’y a rien à dire, sinon que ce n’était ni notre but ni dans nos cordes : on ne peut que supposer que chaque lecteur a une certaine connaissance de tout ça, notre apport étant seulement de donner les éléments qui sont occultés. S’il s’agit enfin de nous inviter à une analyse politique de la situation historique d’alors pour situer l’action de la GP dans les contradictions et limites de l’époque, soit, nous ne l’avons pas fait comme tel parce que ça dépassait nos possibilités, mais c’est justement une des choses qu’on peut faire maintenant, tous autant que nous sommes, et si le livre ouvre ce genre d’analyse politique, tant mieux.

UPT : Page 96, vous revenez sur l’action de juin à 1969 à Renaud Flins, préparée par la commission politico-militaire de la GP, le but est un meeting sauvage au changement d’équipe, il s’ensuit une grosse bagarre avec la maitrise. Vous concluez » que les ouvriers ne se sont pas mis en grève, mais l’initiative a été bien perçue et c’est la véritable naissance de la GP ». Vous avez réellement pensé que des groupes déterminés venant pour l’essentiel de l’extérieur pouvaient déclencher dans les entreprises des mouvements de grève des révoltes ?

L’action en juin 69 à Flins a bel et bien marqué la naissance de la GP au sens d’engager irréversiblement dans son style de pratique original et de « fédérer » sur ces bases en rupture avec les pratiques « ron ron » du militantisme traditionnel, toute une masse de militants, en particulier jeunes ouvriers révoltés. Maintenant, est-ce que sur le moment, « nous » croyions déclencher la grève ? S’il s’agit de savoir ce qu’il y avait dans la tête de chacun, on ne peut pas savoir et ce n’est pas très intéressant. Ce qui l’est plus, c’est de réfléchir à ce que peut signifier dans ce cas « croyance ». Sans doute, « on » faisait cette action avec la « visée » possible de déclencher la grève, de remobiliser un an après les ouvriers trahis par les accords de Grenelle qui n’étaient pas passée comme une lettre à la poste (rejet à Billancourt, film sur Wonder, etc…). Ca n’a pas eu lieu mais ce n’est pas pourtant un échec, puisque ça a lancé une nouvelle dynamique politique. La question de fond est celle-là : un mouvement politique n’est pas un groupement de sociologues ! Faire de la politique, au sens révolutionnaire, n’est pas programmer un ordinateur, c’est tenter des actions pour créer un événement, une rupture dans le consensus. On se représente forcément des effets par anticipation (disons des buts), ici la grève par exemple, mais on ne sait pas d’avance si ça se passera comme prévu, on n’a pas d’assurance et c’est justement ce qui fait le propre de la politique vraie, d’occasionner de l’imprévu, l’important étant de savoir après coup en tirer les conséquences. D’une façon générale, que ce soit à court terme provoquer le déclenchement d’une grève ou en dernière instance « faire la révolution », il est inévitable de se mettre dans cette perspective même si on sait qu’on se heurte à chaque fois à des limites, sinon on ne fait rien, et on se résigne à l’état de fait (idéologie largement répandue de nos jours, ça s’appelle « dépolitisation », victoire idéologique de la bourgeoisie remportée dans les années 80… mais pas pour toujours). Bref, si la question insinuait que « nous » aurions été bien « naïfs » de croire soulever les masses à quelques uns déterminés, et bien je ne crois pas que ce soit la cas, ou alors on est toujours naïfs dès qu’on fait une action politique en pensant que ça aura des effets, même et surtout imprévus ; si on ne prend pas de risque, on fait comme tous les « réalistes », on « gère ».
UPT : Page 100, vous énumérez une multitude d’actions partout en France, qui par leur exemplarité : attaques de commissariat, dégradation de magasins de luxe, Fauchon, action dans les bidons villes...devaient produire une généralisation de la révolte. Çà ne s’est pas passé ainsi. Comment expliquez vous que cet activisme s’il a pu ici et là produire de la sympathie, n’est pas allé au-delà ?
Cette question, en un sens, généralise la précédente, et à ce titre il y a déjà été répondu. Mais on peut aussi la prendre autrement, en termes d’analyse politique à faire. C’est bien la question de fond, dont nous sommes héritiers encore de nos jours, en France et peut-être dans le monde : comment le capitalisme a-t-il réussi non seulement à résister à sa mise en question des années 70 mais à prendre l’initiative (mondialisation « néolibérale », restructuration de son organisation économique, hégémonie idéologique, « vautrification » des supposées « gauches, PS, PCF, gauchistes tractophiles…) et à mettre fin au moins provisoirement à cette flambée révolutionnaire ? Si « nous » avions la réponse, « nous » ne serions pas là ! C’est précisément ce qu’il nous faut discuter, pas seulement pour « expliquer » le passé mais pour relancer la dynamique de nos jours. Précisons quand même que la pratique de la GP n’a pas que fait des « sympathisants » mais a tout de même provoqué certains mouvements de masse (de grève et autres), et que, pour le moins, l’enseignement à en tirer est que ce n’est pas en ne tentant rien, même partiellement, que quelque chose peut changer, comme peuvent le dire les révolutionnaires en chambre qui attendent que ce soit « mûr » pour « le grand soir ». Et le mot « activiste » est dangereux, s’il stigmatise toute action qui ne serait pas largement plébiscitée d’avance : toutes les révolutions n’ont jamais commencé voire même duré que sous l’impulsion d’une minorité agissante (y compris en Tunisie !) même si l’enjeu est évidemment de rallier les masses.

UPT : Page 196, vous revenez sur l’enlèvement de NOGRETTE*et vous reproduisez l’article de La Cause du Peuple du 25 mars. Il y a un dans le paragraphe 2 des propos troublants" :"il n’était pas question pour nous d’exécuter notre prisonnier. Ce pas ne sera franchi que lorsque l’opinion populaire le décidera massivement : cela veut dire, lorsque la majorité du peuple décidera que le moment est venu de répondre aux balles par des balles". Comment à cette époque imaginiez-vous une décision majoritaire de l’opinion populaire ?

On peut « imaginer » ce qu’on veut ! Tout ce qu’on peut dire sur cette question, c’est que justement on n’avait pas (on n’a toujours pas) les moyens de l’imaginer. Ce n’est pas le problème. La révolution se fait par étapes, et sauf à se prendre pour Nostradamus, on ne sait pas exactement comment se passeront les étapes ultérieures ; la pensée ne précède pas l’événement. Encore faut-il que celui-ci soit provoqué. Le texte en question se tient dans les limites de ce qu’on peut penser dans la situation : on peut avoir que ce n’est pas l’heure de prendre les armes. Et le texte final (De Lip aux Monts Tsin Kiang) tente d’esquisser une réponse (à discuter).