Entretien avec Salah Amokrane
Article mis en ligne le 11 décembre 2014

par Universite Populaire Toulouse

A l’occasion du festival " Original Populaire " Tactikollectif souhaite explorer la mémoire des initiatives culturelles dans les quartiers depuis les années 1980. L’Université Populaire de Toulouse a rencontré Salah Amokrane, coordinateur général du Tactikollectif.

" Comme une première étape, ces deux jours de festival s’attacheront à revenir sur l’histoire des festivals de quartier des années 1990, et plus particulièrement sur « Ca bouge au Nord » qui, de 1992 à 1994, a été un événement mobilisateur et fédérateur, qui a marqué les esprits dans les quartiers Nord de Toulouse. "

Programme Origine Populaire 13/14 décembre

1 - 30 ans d’activité dans les quartiers populaires de Toulouse, on pense avant tout à ça bouge au nord » y a t’il d’autres évènements, d’autres dates dont il faut se rappeler ?

Salah Amokrane : Dans les années 80, les mouvements pour l’égalité, notamment avec les marches de 1983 et 1984, vont accompagner une émergence culturelle et associative qui structure jusqu’à ce jour le paysage des acteurs qui interviennent dans le domaine culturel, et militant. Cette décennie voit se former les acteurs de la vie culturelle, intellectuelle et politique des quartiers.

Du côté de la création artistique, contrairement à une idée reçue, les champs disciplinaires sont variés. Si la musique, ou le mouvement HIP HOP sont structurant des parcours créatifs... le théâtre, ou la Bande Dessinée sont aussi bien présents. L’action culturelle a toujours été un des moyens privilégiés d’expression publique des militants et acteurs agissant dans les quartiers. En effet, alors qu’apparaît sur la scène publique une nouvelle génération de militant-e-s avec les « marches pour l’égalité », c’est en réalité une effervescence associative qui se manifeste déjà depuis la fin des années 70. Cette « scène » associative, est bien souvent composée d’acteurs ayant fait de l’intervention culturelle un axe central.

Dans les années qui ont suivi les marches et jusqu’aujourd’hui, l’action culturelle, l’accompagnement des émergences artistiques, sont des éléments structurants de l’intervention associative dans les quartiers. Depuis trente ans l’action culturelle, que ce soit à travers l’organisation d’événements culturels comme les festivals et les fêtes de quartiers, ou à travers l’accompagnement des émergences culturelles et artistiques issues des quartiers, a marqué le paysage culturel et politique des quartiers. Des manifestations ont en effet eu un écho national dans les années 80 et 90, comme « Y’a d’la banlieue dans l’air », Caravane 92, ou Ça Bouge au Nord ; et d’autres initiatives sont ancrées localement depuis des décennies…Nous reviendrons bien sur sur « Ça bouge au Nord » avec des documents d’archives.

A travers ces expériences, de véritables pratiques se sont développées, et ont inscrit dans le paysage ces évènements comme des espaces d’expressions et de visibilité au même titre que des espaces d’expression politique traditionnelle. C’est peut être d’ailleurs par défaut de pouvoir accéder plus rapidement, ou plus facilement à l’espace politique que ces pratiques se sont développées. Au cours des trente dernières années les modes d’actions ont bien sûr évolué. La place qu’occupent aujourd’hui les questions mémorielles dans les champs de préoccupations, notamment, a considérablement changé.

2 - Ç’a bouge toujours au nord ? L’équipe de Pierre COHEN a-t-elle fait bouger les lignes ? Comment regarde-t-on la nouvelle équipe dans les quartiers populaire ?

Salah Amokrane : Il y a bien sur encore des acteurs associatifs sur le terrain qui font le boulot. Mais avec la situation sociale qui s’est considérablement dégradée c’est aussi le lien social qui en a souffert. Alors les initiatives citoyennes, habitantes ont moins d’impact, et le champs associatif est majoritairement composé de professionnels. Il y a pourtant des prises de conscience et des volontés réelles ; mais il faut reconnaitre que nos édiles ont eu du mal à accepter l’émergence des contre-pouvoir ou expressions autonomes des habitants des quartiers. Nous avons toujours pensé que c’est la question démocratique qui est au cœur des solutions pour recréer du lien. De notre point de vue, les habitants analysent très bien les difficultés du moments et n’attendent pas de solutions miracles des élus , ou responsables politiques, mais ce qu’ils ne supportent plus c’est d’être relégués du débat et considérés comme de sous-citoyens…

Les lignes ont alors surtout bougées du côté de la rénovation urbaine,qui est aujourd’hui une politique consensuelle, quelque soit lie bord politique mais sans vraiment de débats avec les concernées c’est à dire ceux qui habitent,. Dans les quartiers, l’action politique traditionnelle est assez discréditée, alors ancienne ou nouvelle équipe c’est le scepticisme ou l’attentisme qui règne…

3 - Les médias, bardées d’experts et autres spécialistes, nous décrivent les quartiers populaires ou certains d’entre eux, comme des pépinières de futurs djihadistes, qu’est ce que tu en penses.

Salah Amokrane : Non les quartiers ne sont pas des pépinières de djihadistes, mais de chômeurs, de précaires…dans les quartiers comme ailleurs les avis sont partagés, il y’a une vrai diversité de points de vue, des réacs, des progressistes, des pratiquants, des mécréants, des qui s’en foutent…en réalité au quotidien dans les quartiers les gens se côtoient, et vivent ensemble, ça ne veut pas dire que tout le monde s’aiment, il y des conflits, mais aussi des solidarités…enfin comme partout quoi, sauf que là les difficultés sociales exacerbent souvent les problèmes…..Sans réduire les questions de sociétés aux sociales…dans une situation apaisée économiquement et socialement, les choses seraient bien différentes.

4 - Nous avons noté que les manifestation de soutien au peuple palestinien, lors de la dernière guerre contre GAZA ont été mois massive qu’en 2009-2010. Comment faut il interpréter ce fait ?

Salah Amokrane : En quelques années, les réseaux qui peuvent faire lien ont beaucoup bougé, et les capacités de mobilisation si elles sont réelles sont fragiles, alors sans doute la relation avec les militants est moins évidente, mais ça peut aussi re- bouger dans l’autre sens. Sans une implantation plus permanente, difficile de faire vraiment le travail. Par ailleurs je crois, que malheureusement les horreurs des agressions israélienne se sont banalisés…les gens suivent beaucoup l’actualité de la situation en Palestine, ils en parlent beaucoup…il faudrait que l’on puissent faire du travail dans les quartiers y compris en dehors des moments de crise…il y’a besoin de formation sur la question palestinienne.

5 - Sous une forme ou sous une autre le tactikollectif a été présent lors des grands rendez vous électoraux, principalement lors des municipales (2001 sans la LCR, 2008 avec la LCR, 2014 avec le NPA) Quel regard portes tu sur ces périodes électorales.

Salah Amokrane : Pour ce qui nous concerne, nous pensons que les élections (surtout locale) doivent être l’occasion de faire émerger des dynamiques qui font de la question des quartiers une question centrale, et les relient à d’autres questions. Ce qui nous intéresse depuis Motivé-e-s, c’est d’attirer l’attention des progressistes sur cette nécessité. C’est vrai que l’on y est moins arrivé lors de la dernière, mais il faut dire que l’on s’est moins investi. Ceci dit, la liste CHOUKI/GARAI présentait l’intérêt de démontrer des possibles. L’enjeu c’est de préparer ces échéances bien en amont avec des séquences de transmission, de formation, sur les différents sujets, mais aussi sur l’histoire des luttes, notamment des quartiers et de l’immigration en ce qui nous concerne. Il s’agit de créer une culture commune. Ce n’est pas simple, car cela demande du temps et un peu de moyens, et faut reconnaitre que les militants ne savent plus ou donner de la tête ces temps ci…en tous cas, la ressource, la matière est là, les énergies et les prises de conscience aussi…reste à trouver également les conditions pour des stratégies d’alliances correctes pour tout le monde…quoiqu’il en soit ces élections sont pour moi le cadre premier pour travailler à la question démocratique, à remettre de la politique partout..en commençant pas là ou on vit…