Cinema-debat : Charlie’s country
Article mis en ligne le 15 novembre 2014

par Universite Populaire Toulouse

Avant-première mardi 2 décembre à 20h30 à UTOPIA Toulouse, suivie d’une rencontre avec Rolf De Heer, le réalisateur, organisée avec l’Université Populaire de Toulouse (achetez vos places dès le 23 novembre).

Un peu partout dans le monde, repoussés dans les lieux les plus inhospitaliers de leurs terres ancestrales ou parqués dans des réserves arides, survivent une partie de ceux que l’on peut considérer comme les victimes de l’Histoire. Alors qu’eux-mêmes utilisaient bien souvent pour nommer leurs sociétés l’équivalent dans leur langue du mot signifiant « les hommes », les termes que nous employons pour les désigner n’ont cessé d’évoluer – vaines tentatives de policer les mots utilisés pour signifier une forme de respect disparue dans les faits. Peuples primitifs, originels ou natifs, puis peuples indigènes ou populations autochtones, ils sont encore des millions, représentant plus de cinq mille groupes différents. Ce sont les Amérindiens, les Inuits, les Mapuches ou les Guaranis en Amérique, les Pygmées, les Massaïs ou les Berbères en Afrique, les Hmongs en Asie, les Maoris ou les Aborigènes en Océanie… Tous ces peuples ont vu les limites de leurs terres sans cesse repoussées par l’envahisseur européen, qui a fini par les occuper en totalité. Ne restait alors pour les survivants qu’un simulacre de choix : se battre encore pour préserver des territoires déjà extrêmement réduits et menacés, s’adapter ou mourir. Beaucoup de ces cultures sont donc passées à la moulinette de l’assimilation, leurs langues et leurs modes de vie disparaissant peu à peu au profit des cadeaux fait par l’occidentalisation : sédentarisation forcée et contrôlée, dépendance aux aides gouvernementales comme seule compensation à la spoliation de leurs terres (qui étaient aussi leur moyen de subsistance), découverte de l’alcool comme remède au déracinement et à l’ennui… Et même si certaines situations évoluent, la plupart des populations autochtones sont encore aujourd’hui sous domination culturelle, économique, sociale et politique d’un ou de plusieurs autres peuples, réduites à n’être souvent qu’une minorité au sein d’États qui ne les reconnaissent pas en tant que peuples distincts.

Ainsi le pays de Charlie n’est plus vraiment le sien… Si sa terre d’Arnhem, au Nord de l’Australie, a été relativement épargnée par la colonisation et proclamée Réserve Aborigène, permettant ainsi de sauvegarder une partie de la culture traditionnelle, elle n’en est pas moins régie par l’intervention du gouvernement australien qui y fait strictement appliquer ses lois. La police patrouille et surveille en permanence les faits et gestes des habitants de la petite communauté aborigène reconstituée ici. Charlie s’accommode tant bien que mal de cette situation, choisissant de conserver un sens de l’humour qui semble chez lui inné, rusant pour tromper la vigilance des autorités et parvenant même à plaisanter avec les policiers. Mais au fond de lui, la colère gronde. Et dans son regard volontiers malicieux transparaît parfois une étincelle de haine vis-à-vis de tous ceux qui l’empêchent de vivre comme il le voudrait, comme vivaient ses ancêtres et comme lui-même à vécu dans son enfance. Alors quand la police se fait plus présente et sa frustration trop grande, Charlie décide de quitter la communauté et de retourner vivre dans le bush pour y retrouver son ancien mode de vie, commençant alors une longue errance qui réveillera ses vieux démons…

Prenant comme point de départ la vie de David Gulpilil, acteur principal et co-scénariste du film, Charlie’s country est une fable – d’abord légère et même franchement drôle devenant peu à peu mélancolique, mais jamais désespérée – sur le déracinement, la perte de repères, et sur toute cette communauté qui se sent aujourd’hui étrangère sur ses propres terres. Une œuvre dure et poétique, belle et amère, qui doit beaucoup à l’incroyable puissance expressive de son acteur principal. Et à travers le difficile chemin de Charlie vers l’apaisement et vers sa propre rédemption, Rolf De Heer, sans jamais être didactique ni moralisateur, nous donne à réfléchir sur la situation des Aborigènes d’Australie, et nous fait ressentir l’intensité et la complexité de leur « mal du pays ».