Le gauchisme flamboyant
Article mis en ligne le 21 mars 2018
dernière modification le 22 mars 2018

par Marsanay

Gilbert Laval est l’invité de l’Université Populaire de Toulouse le 10 avril au Bijou. Il vient de publier aux éditions Cairn : « Le gauchisme flamboyant L’après mai 68 à Toulouse ». Un livre passionnant retraçant l’histoire de l’extrême gauche toulousaine et au-delà d’une partie de la jeunesse toulousaine. Un livre truffé d’anecdotes, certaines prêtent à rire d’autres font froid dans le dos, anecdotes toujours accompagnées d’analyses.
Ce livre dont l’histoire racontée a commencé voilà 50 ans nous parle aussi aujourd’hui.

Nous avons posé deux questions à Gilbert Laval, Comment l’anti fascisme a t’il survécu à la mort de Franco. La circulation des armes à Toulouse.
1-Après la mort de Franco, l’anti franquisme disparaît, mais n’a pas pour autant annulé l’antifascisme bien présent à Toulouse. L’anti franquisme a fait place, du moins dans les écrits de bon nombre de journalistes, d’un paquet de militants politiques, d’organisations même selon lequel l’arrivée des espagnols en 1939 aurait influencé la nature des conflits sociaux. La longueur de ceux-ci, l’ampleur des manifestations…s’expliquerait ainsi. Nougaro dans sa chanson évoque la corne qui pousse…Qu’en penses-tu ?
Est-ce une histoire politique ou une simple histoire de musique ?

Une conséquence de cet anti-fascisme aux accents d’Outre-Pyrénées a longtemps été la difficulté pour un Jean-Marie Le Pen à tenir meeting à Toulouse sans que les manifestants débordent dans les rues ou sans que ses salles de réunion ne soient plastiquées. Tout se passait alors, et pendant la présidentielle de 2002 encore, comme si toute la ville soutenait les manifestations anti-FN.
Ayant vécu l’exil républicain ou au moins l’arrivée de ces exilés, les parents des années 70 et 80 ne pouvaient pas condamner, venant de leurs enfants, la poursuite de combats qu’ils avaient eux-même engagés ou au moins célébrés. L’anti-franquisme aurait pu être enseigné en cours d’éducation civique dans les écoles toulousaines.
L’exil espagnol n’a pas entraîné dans la ville de mouvements sociaux particuliers. Il y a cependant instillé une dose lourde d’anti-autoritarisme politique, d’opposition à toute forme de dictature. Il y a produit une société culturellement anti-fasciste, chez les enseignants et les enseignés bien sûr, mais aussi dans la police et chez les magistrats.

2-Les armes sont omniprésentes dans ton livre, elles circulent beaucoup, on les trouve jusque sous les blousons de militants venus accueillir gare Matabiau des avocats des brigades rouges , Bande à Bader…et tout cela sous la surveillance discrète de la police ! Les armes circulent mais ne crachent pas le feu. Rien à voir avec l’Italie même avec Rouillan. La circulation des armes est une vieille histoire toulousaine, d’abord celles des espagnols et du PCE, dans des maisons forestières des Pyrénées, à Barbazan...( voir Jours de gloire et jours de honte) mais aussi celles des anarchistes, dont on suit moins bien la trace. Ce qui paraît tout à fait incroyable, c’est la police qui ne bouge pas même quand elle sait que des militants circulent avec des armes. Faut-il voir dans ces choix politiques des pouvoirs publics de se contenter de surveiller les gauchistes armés, l’assurance qu’ au fond l’extrême gauche toulousaine, tous courants confondus, ne prendrait jamais les armes ?

Il n’est pas certain que circulent moins d’armes aujourd’hui qu’il n’en circulait aux temps joyeux du gauchisme pétaradant. Ce ne sont seulement plus les mêmes armes. Si les Kalachnikov en provenance de l’ex-Yougoslavie croate arment les gros bras de tous les trafics dans les cités, les pétoires alors disponibles étaient souvent le symbole, ou les restes, de combats plus glorieux, comme ceux de la Résistance. Ces armes étaient surtout lourdes de leur charge idéologique.
Il est en effet arrivé que la police ferme les yeux sur les canons sciés de fusil qui dépassaient des sacs. Mais parce que les fusils en question n’avaient pour destination que la dissuasion politique. Une arme en soi ne représentait pas le mal. Le mythe de la mitraille sortie de sous la paille pour chasser l’occupant n’avait que trente ans d’âge.
Les militants les plus pacifistes ou les moins guerriers, dont quelques filles, ont pu s’équiper d’armes 22 long rifle achetées dans le commerce. Mais nul ne s’en est jamais servi. Pour caricaturer, une arme à feu était comme l’épée en plastique du costume de Zorro, un élément de la panoplie du révolutionnaire de ces temps. Parce ces temps étaient violents, très violents, comme sur les digues bombardées du Vietnam, dans les prisons franquistes où les révolutionnaires étaient garrotés, dans les rues d’Athènes où le régime des colonels assassinait ses opposants.
La France n’était ni la Grèce des colonels ni l’Espagne de Franco, il était clair pour tous, militants ou policiers, révolutionnaires ou agents de l’appareil répressif d’Etat, que, hors les mots, hors le discours, l’usage de ces armes n’était pas à l’ordre du jour. Et qu’il fallait en accepter la présence symbolique.
Les chefs policiers toulousains étaient eux-même issus de la Résistance, ayant une vision assez précise, assez pratique de ce qu’est une arme. De leur côté, les révolutionnaires n’étaient pas disposés à laisser la poudre et le plomb l’emporter les idées et les mots. Anticipant le risque de dérive, comme ce qui allait advenir en Allemagne avec la Bande à Baader ou en Italie avec les Brigades rouges, les activistes de la Gauche prolétarienne ont ainsi préféré auto-dissoudre leur organisation. C’est d’ailleurs un Toulousain qui a prononcé l’acte de décès lors de l’AG dite des Chrysanthèmes le 1°novembre 1973 à Paris.
Il a été beaucoup débattu des armes et de leur usage à l’extrême-gauche-gauche et dans l’extrême-gauche toulousaine en particulier. Mais c’est essentiellement resté un débat.