L’anti Franquisme, cet anti-fascisme des toulousain e s - 25 avril 1968 Toulouse
Article mis en ligne le 14 mars 2018

par Marsanay

Gilbert Laval est l’invité de l’Université Populaire de Toulouse le 10 avril au Bijou. Il vient de publier aux éditions Cairn : « Le gauchisme flamboyant L’après mai 68 à Toulouse ». Un livre passionnant retraçant l’histoire de l’extrême gauche toulousaine et au-delà d’une partie de la jeunesse toulousaine. Un livre truffé d’anecdotes, certaines prêtent à rire d’autres font froid dans le dos Anecdotes toujours accompagnées d’analyses Ce livre dont l’histoire racontée a commencé voilà 50 ans nous parle aussi aujourd’hui.

« L’anti-franquisme c’est l’anti-fascisme des toulousains » dit Gilbert Laval, il en est question d’un bout à l’autre du livre
Les femmes, le féminisme dans les mobilisations de mai 68 et de l’après mai, la naissance du MLF et du MLAC occupent une place importante dans le livre de Gilbert Laval
Il y a aussi cette exigence de vivre tout et tout de suite de faire de la politique et de faire la fête en même temps. Démarche différente de ceux et celles qui feront le choix d’aller à la campagne de vivre comme ils/elles le préconisaient, loin de la politique et de la révolution.
Il y a bien d’autres choses. Nous avons posé deux questions pour commencer à Gilbert Laval sur mai 68, plus particulièrement sur le 25 avril 1968 place du Capitole et sur la couleur toulousaine de l’anti-fascisme, l’anti –franquisme. D’autres questions viendront et seront publiées au fur et à mesure. Si elles suscitent des débats, nous les publieronségalement.

Dans les premières pages de ton livre, il est beaucoup question de l’Espagne de l’anti franquisme omniprésent à Toulouse*. La lecture de ces pages nous amène rapidement à comprendre que l’anti franquisme bien présent, n’a pas été un tremplin pour le développement des courants anarchistes et libertaires, pourtant ils sont là depuis 1939. On ne sait pas pourquoi. Quelle est ton explication ?
Dans la lutte contre le Franquisme, l’exécution de PuigAntich suscite une mobilisation sans précédente dans la rue, dans les entreprises, le livre y revient abondamment. On découvre que la lutte contre le franquisme, dans son aspect le plus militaire, peut produire des alliances surprenantes, entre les libertaires, les maos et les trotskistes. Alliances qui auraient pu se traduire par des morts, mais il y a toujours l’analyse politique qui reprend le dessus et dont tout le monde s’accommode en définitive. Est-ce que la lutte contre le franquiste était l’indice le plus probable qu’il n’y aurait pas de basculement dans la lutte armée. ?

 L’anti-franquisme est le couleur toulousaine de l’antifascisme. L’anti-fascisme n’a jamais été le propre de tel ou tel type d’organisation. Ainsi, l’anti-franquisme n’a jamais été non plus une exclusivité libertaire. La vigueur de l’opposition au régime de Franco sur les bords de la Garonne ne signifie pas que le mouvement anarchiste doive y être spécialement implanté.
Pourquoi d’ailleurs ne s’y est-il pas plus développé ? Il y a à Toulouse deux générations de libertaires. Celle des pères d’abord. Le mouvement libertaire que ces derniers ont importé d’Espagne ne sortira jamais des cercles, des rues, des restaurants où ils se retrouvent en quasi vase-clos. La génération des filles et fils de l’exil républicain ne prend pas le relais. Nés en France, ils se confondent déjà avec la jeunesse de ce côté-ci des Pyrénées ou la culture anarcho-syndicaliste est largement absente. Il y aura des places fortes libertaires à Toulouse comme l’Imprimerie 34 de la rue des Blanchers, les libertaires n’y constitueront jamais un mouvement d’ampleur.

 Il y avait des Filles et Fils de Rouge chez les libertaires, mais chez les trotskistes de la Ligue communiste révolutionnaire aussi. Et l’anti-franquisme, c’est bien plus de la rage qu’un effet de la lecture de Bakounine ou de Léon Trotsky. Les maoïstes se sont joints aux manifestations les plus musclées mais sans y représenter un bien gros bataillon.
La condamnation à mort de PuigAntich a été pour tous l’occasion de s’opposer très concrètement, physiquement à ce régime honnis. La violence politique de cette période trouvait là un terrain d’expression. Là comme en d’autres circonstances, cette violence aurait pu entraîner au pire. Mais, les mots faisant plus fort que les armes, l’appareil politique trotskiste a su ne pas se laisser déborder par son appareil militaire. Même au cœur de l’action dans les rues de Toulouse, en pleine manifestation le 11 janvier 1974, au moment de s’en prendre aux CRS, il y a débat entre la hiérarchie et le service d’ordre. Au bout de quoi, la réflexion l’emporte sur le coup de poing.
Les libertaires eux-mêmes conviennent que Toulouse n’est pas Barcelone, que le régime de Giscard d’Estaing n’est pas celui de Franco et que les CRS ne forment pas une armée d’occupation. Qu’il n’y a donc pas trop de quoi jouer du pistolet.
Pendant toutes ces années, la priorité a été donnée aux idées sur les armes. Les militants et quelquefois militantes les plus pacifistes ont pu se doter d’armes, par raison, mais par conscience l’emploi de ces armes est resté virtuel. A la notable exception de Rouillan et ses amis, aucun groupe armé ne s’est jamais constitué. Les services d’ordre des uns et des autres étaient militairement très structurés. Les organisations qui en étaient dotées n’ont eu aucune difficulté politique à les dissoudre. Les armes sont restées un mythe.
Jours de gloire, jours de honte :L’histoire du PCE à Toulouse et dans le midi, la CNT et le POUM, les caches d’armes, la clinique Varsovie, la tentative d’invasion par le Val D’Aran...A lire absolument

L’épisode de « l’occupation » de la mairie de Toulouse, a un côté bien mystérieux*. On comprend bien que l’ag de FO convoquée au sénéchal et qui s’en va occuper la marie avant l’arrivée des étudiant e s est probablement le produit d’un accord entre le maire Bazerque(PS) et le syndicat FO. Une pichenette écris-tu « aurait suffi pour s’y emparer du pouvoir ne serait-ce que symboliquement » Alcouffe** « n’a pas pris de porte-voix pour inciter à l’assaut ». Mais l’assaut n’a plus lieu d’être puisque les grévistes de FO ouvrent les portes et laissent les étudiants pénétrer dans la mairie. Paradoxe les étudiants qui rêvaient d’une jonction avec les ouvriers, quittent la mairie occupée par les communaux de FO en début de soirée. Pourquoi l’occupation de la mairie avec les communaux mais sans assaut et échauffourée est-elle perçue à Toulouse comme à Paris comme une occasion manquée ?

C’est le vieil appareil SFIO, celui des élus, des amicales laïques, du rugby et des réseaux de la Résistance qui se mobilise le 24 mai autour de Bazerques pour préserver l’Hôtel de ville d’éventuels débordements de la manifestation étudiante qui a le Capitole pour objectif. La social-démocratie syndicale fait bloc, mais d’elle-même. Le maire n’a pas eu à l’appeler à son secours. Le leader FO Georges Aybram prend seul l’initiative d’aller avec ses adhérents occuper le Capitole pour le mettre sous sa garde. Pour leur part, les syndicalistes de la CFDT arrivent sur les lieux derrière les banderoles des syndicats enseignants que la manifestation étudiante a rejoints sur la place du Salin avant de leur demander de prendre la tête du défilé. Aucun élu politique n’a eu besoin de prier le leader SNESUP Bernard Kayser d’intervenir une fois les manifestants dans la cour intérieure du Capitole. C’est naturellement qu’il y prêche le « plus grand calme » et le « respect de cette maison des citoyens ». De la même façon, c’est sans consigne aucune que le leader cédétiste de l’aéronautique, Michel Loubet chantant victoire appelle en fait les étudiants à vider les lieux avant que ne les traverse l’idée d’y camper. La gauche institutionnelle l’emporte ce jour-là sur la gauche de mouvement.
Il n’est pas sûr que ce soit vraiment une occasion manquée. Les étudiants parisiens se sont-ils lancés à l’assaut de l’Elysée, de Matignon ou de l’Assemblée nationale ? Non, tout se passe comme si les manifestations dans la capitale avaient soigneusement évité les lieux d’exercice du pouvoir. C’est la Bourse qui a été chahutée et l’Odéon qui y a été occupé. Un théâtre. L’Hôtel de ville du Capitole laissé à Bazerques, c’est le signe toulousain de ce qu’a été ce mouvement de 68. Où il était immensément plus question de changer la vie que de s’emparer du pouvoir.
Le soir-même de ce 24 mai, l’étudiant bientôt leader de la JCR à Toulouse, Tony Artous estimait qu’une petite bousculade aurait suffi à chasser les militants FO de la mairie. Rien ni personne, selon lui, n’a fait renoncer ces étudiants à une occupation des lieux. Ils s’en sont abstenus parce qu’ils n’en avaient même pas établi le scénario. Parce que n’existaient ni le projet ni donc la volonté d’y parvenir.
Quelques leaders étudiants avaient imaginé conduire ce jour-là les travailleurs à une prise du Palais d’Hiver. Ils ont dû se rendre compte que ces travailleurs n’étaient pas disposés à prendre le pouvoir de cette façon et qu’eux-mêmes n’y étaient surtout pas préparés.