Retour sur 2016 et 2017
Article mis en ligne le 17 février 2018
dernière modification le 18 février 2018

par Marsanay

Le site A l’encontre, vient de publier un texte de l’Alternative Libertaire qui revient sur les mobilisations de 2016 et 2017. Ce texte arrive au moment ou nous constatons une certaine effervescence sociale, une multiplication des conflits sociaux dans la santé, à la poste, le commerce et la poursuite des attaques du gouvernement contre les salariés assurance chômage, fonction publique et bien sur SNCF.Le gouvernement ne semble pas voir dans l’effervescence sociale que nous constatons un danger pour changer le rythme de ses réformes. Dans les mois qui viennent nous auront des réponses à beaucoup de questions que nous nous posons

Nous avons lu avec attention votre texte sur 2016/2017 ; nous avons, nous même, beaucoup écrit sur 2016(vous pouvez retrouver ces textes sur le site de l’UPT – Voir en particulier notre analyse à chaud fin juillet 2016 : http://universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article744).
Nous partageons un certain nombre d’arguments développés dans ce texte ; d’autres mériteraient une discussion approfondie. Mais il y a une expression, « la centralité de l’entreprise », qui a attiré notre attention. Cela faisait un bout de temps que nous n’en avions pas entendu parler sauf, récemment, dans « La Horde d’or », plus précisément dans le chapitre 3 « La naissance de l’ouvrier masse et la fracture du mouvement communiste ». Page 134 en particulier, il est question de la « centralité de l’usine », il est dit ceci : « (…) se manifestant surtout par une tension et un conflictualité très forte dans le processus de production en particulier dans la métallurgie ». De votre coté vous écrivez : « C’est le lieu concret ou s’exerce l’exploitation capitaliste , ou s’affrontent directement les intérêts du prolétariat et du patronat ». Des définitions sommes toute assez comparables. Mais, les entreprises de 2018 sont elles les mêmes que celles du fordisme des années 60 et 70 ? Assurément non. L’indice marquant de ce changement est la faiblesse des grèves, remplacées par de fortes mobilisationsavecla présence importante des retraités. On retrouve la notion de « centralité de l’entreprise » plus récemmentdans les travaux d’Alexis Cukier (voir son dernier ouvrage : « Le travail démocratique ») ou bien ceux de Benoit Borrits et de la sphère autogestionnaire. Pour finir, on peut aussi se référer au colloque « Tout le monde déteste le travail » qui s’est récemment tenu à la Bourse du Travail à Paris (https://lundi.am/Journee-Tout-le-monde-deteste-le-travail) et au récent texte de Frédéric Lordon « Sortir les parasols » (https://lundi.am/Sortir-les-parasols).
Ceci étant dit, ce que vous omettez de signaler, c’est que, quand en 2010 il se produit un basculement dans les luttes ouvrières, ce ne sont plus les grands services publics, les cheminots en 1995, les enseignants en 2003ou bien la jeunesse en 2006, mais bien le secteur privé, en 2010, qui est le fer de lance de la mobilisation. Et c’est spécialement vrai en 2016 et 2017. De la même façon que les mobilisations des sidérurgistes de 1979 marquaient la fin de la « domination » du secteur industriel en matière de lutte, nous sommes donc actuellement à la fin d’un cycle. S’il faut dater le début de ce processus, c’est 1974 avec la grève des PTT (voir la contribution au texte de Beyroud/Karel que nous avions écrite et publiée sur le site Contretemps).
Il faut aussi se rappeler qu’en 1995 et 2003, il a été question de grèves par procurations ; c’est-à-dire la prise en compte du décalage syndical entre le public et le privé (l’un syndiqué l’autre pas).« On invente »alors une solution, les « temps forts ! » pour que les salariés du privé puissent participer au mouvement. Cela a moins bien fonctionné en 2010 et pas du tout en 2016 et 2017 pour le secteur public. C’est une indication forte sur la difficulté à construire une grève générale.
Ajoutons à cela qu’en 2010 comme en 2016, les grandes concentrations ouvrières (automobile, aéronautique, chantiers navals) ont peu débrayé. De même que les secteurs privatisés dans les années 1990 et 2000 (Télécom, EDF, Poste) sont absents des mouvements de grève interprofessionnels de ces dernières années.
L’absence d’appel à la grève générale de la part des syndicats, appel qui n’a d’ailleurs pas été lancé, ni en 1936 ni en 1968 (la grève générale est, dans les deux cas, l’aboutissement de la généralisation, par capillarité, de grèves locales) n’est pas ce qui explique qu’il n’y ait pas de grève générale. Ce sont plutôt l’accumulation des défaites et la faiblesse des syndicats (ceux qui luttent) qui sont les causes essentielles de cette situation ;causes auxquelles il convient d’ajouter la mutation du salariat (voir là aussi les travaux du colloque « Tout le monde déteste le travail » déjà cité). Mais il faut aussi se souvenir que la grève s’étend vite en 1936 et 1968 parce que, dans la plupart des usines, il y a des syndicats forts, capables d’élaborer des plateformes revendicatives et de les faire partager par la majorité des salariés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Enfin, il y a un phénomène dont vous ne dites mot, c’est le va-et-vient entre les luttes sociales et l’alternative politique. Le mouvement social de 1995 débouche en 1997 sur la victoire de la gauche dite« plurielle ». Le mouvement défait de 2010 débouche sur une victoire, par défaut, du PS contre Sarkozy.
Et il y a, surtout,l’année 2016. Pour la première fois, les syndicats, dont la CGT, affrontent un gouvernementde « gauche ». Mais c’est un mouvement inachevé parce qu’il règle le cas du PS mais en laissant, en 2017, passerMacron ; avec tout de même 7 millions de voix et près de 20% pour Mélenchon et la France Insoumise.
La mobilisation sociale de 2017 n’a pas donné lieu à un 3ième tour social car celui-ci n’existe que dans la tête des militant e s. Forts de leurs « victoires », les routiers et les dockers ont cessé le mouvement ; ils n’ont pas pris appui sur leur mobilisation pour généraliser leurs acquis et donc les pérenniser. C’est encore un indice fort que la généralisation des grèves suppose des conditions bien précises ; « quand, en bas, on ne veut plus… » pour dire vite.
Macron, fort de ses succès électoraux, vient de décider d’affronter les cheminots et l’ensemble des services publics. Sans aucun doute, nous sommes devant quelque chose d’essentiel (un affrontement central ?) et de ce qu’il adviendra dans les mois qui viennent sortira vraisemblablement une réponse à beaucoup de questions que nous nous posons

Texte de l’Alternative Libertaire https://alencontre.org/laune/france...